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A Moscou, un théâtre est pris en otage en pleine représentation de Hamlet, par un commando de rebelles tchétchènes. Parmi eux, une femme. Elle était sage-femme à Grozny.

« Je vais devenir un vieil arbre sec. Aux branches en forme de fusil, aux feuilles en forme de couteaux et les fruits seront des grenades. La sève sera mes larmes. Et mes racines, mes cheveux droits sur ma tête. Je puiserai dans la terre et dans le sang qui sèche au bord des routes dans les herbes brûlées. Les couleurs sont passées. Les odeurs sont toutes les mêmes. Les bruits sont sourds. Même un éclat d’obus dans l’œil, je ne le sentirais pas. Ça y est. C’est arrivé. Je vais faire un malheur. »

Avant-propos

Tout a commencé par une photo de Stanley Greene, découverte par hasard dans une brochure intitulée Le silence tue : le portrait d’une jeune femme vêtue du maillot rayé et du treillis des combattants tchétchènes. Le visage fin et pâle, les yeux pleins de tristesse et de détermination, elle tient dans ses mains une kalachnikov, elle est infirmière, elle s’appelle Asya, elle m’empoigne par le col et me dit « Tiens-toi là ». 
Je lui promets d’écrire sur elle. J’échafaude une histoire et invente une rencontre avec le reporter qui a pris la photo.
 
C’était trois mois après la prise d’otage du Théâtre de la Doubrovka à Moscou par un commando tchétchène. Parmi eux, il y avait six femmes. 
Et si Asya en avait fait partie ? Comment en serait-elle arrivée là ? Et pourquoi prendre en otage un lieu tel qu’un théâtre, avec son public, au cœur d’une représentation ? 
Je décide d’intégrer la prise d’otage à mon histoire et d’inventer librement à partir des faits réels. 
Ainsi par exemple, les acteurs russes joueront Hamlet et non plus Nord Ost. Et Asya deviendra kamikaze, même si d’après les quelques lignes qui parlent d’elle sous la photo, elle a péri dans un bombardement.
 
Je me documente au fil de lectures, projections, rencontres, je me mets au Russe et découvre Plaie à vif , le livre de Stanley Greene réunissant dix années de reportage en Tchétchénie. A l’intérieur, la fameuse photo d’Asya.

Sur le comptoir où Stanley s’est installé pour dédicacer le livre, un fascicule en anglais relié à la main, intitulé Asya, portrait d’une femme combattante. Je lui dis « Vous savez, j’écris une pièce sur elle ». Il me donne le fascicule. Je le lis d’une traite, le souffle coupé : l’histoire qu’il raconte est la même que celle que j’ai échafaudée.
Sa traductrice me dit « Il n’a qu’une idée en tête, faire venir Asya à Paris. » – Je croyais qu’elle était morte ! – Lui aussi, mais la dernière fois qu’il est allé à Grozny on lui a dit qu’elle était toujours vivante et qu’elle avait rejoint le clan des veuves noires, ainsi qu’on appelle là-bas les femmes kamikazes …
 
J’ai quitté la ville, arrêté les cours de Russe et dans le silence d’une maison isolée, me suis mise à l’écoute de cette histoire qui voulait être racontée. 
 
Le jour où j’ai donné à Stanley mon manuscrit achevé – bien qu’il ne lise pas un mot de Français – il m’a dit que depuis notre dernière rencontre, il avait appris qu’Asya était morte en kamikaze, contre un camion, avec une ceinture d’explosifs.  En janvier 2003. Au moment même où sa photo m’empoignait par le col pour la première fois :
« Tiens-toi là ».
 
Pendant toutes ces années je me suis « tenue là » près d’elle, à l’écoute de son cri, pour lui donner la parole, en guise de fusil. Parfois, j’ouvrais le livre de Stanley et je regardais ses photos. Certaines m’ont inspirée au point de faire partie intégrante de l’histoire : elles sont devenues les photos prises par le reporter de ma pièce. Œuvres de fiction, pourtant bien réelles. C’est pourquoi j’ai souhaité que le portrait d’Asya apparaisse en couverture, pour que réel et fiction se rejoignent une dernière fois.

Editions de l'Amandier
Année2011Share

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